Mon Histoire: Annette Reilly
Mon histoire commence alors que j’avais 30 ans. J’assurais, depuis deux ans, la mise en scène de pièces de théâtre, je produisais et réalisais mon premier film et je venais de fonder une famille. Essentiellement, ma vie était « sur les rails » et une nouvelle carrière, que j’étais impatiente d’explorer, s’ouvrait à moi. Tout cela a changé en janvier 2011.
J’ai commencé à éprouver le besoin irrépressible de manger du sable et de la terre. Reconnaissant là les symptômes du pica (une déficience en minéraux très fréquente chez les femmes enceintes), je suis allée chez mon médecin, qui m’a annoncé que je souffrais d’un TOC et a cherché à me prescrire des antidépresseurs. Comme j’étais réticente à retourner la voir après m’être sentie humiliée lors de ma visite précédente, je n’ai plus abordé le sujet, et ce, même si d’autres symptômes étaient apparus entre-temps. D’abord, du sang dans mes selles, un signe que j’ai relié à un changement dans mon alimentation. Ensuite, une fièvre légère, dont j’ai souffert pendant deux mois. Puis, des crampes intestinales.
Lorsque j’ai finalement repris rendez-vous, mon médecin a demandé, à contrecœur, que des analyses sanguines soient faites. Ces dernières ont révélé que je souffrais d’une grave anémie. Mon taux d’hémoglobine était tellement bas que j’aurais pu m’évanouir chaque fois que je me levais. Il était, dans les faits, bien au-dessous du seuil auquel des transfusions sanguines sont habituellement pratiquées. Inutile de préciser que la solution de mon médecin a été de me prescrire des suppléments de fer et une autre analyse sanguine trois mois plus tard, plutôt que d’explorer POURQUOI une femme auparavant en pleine santé et n’ayant jamais fait d’anémie souffrait désormais d’une aussi grave déficience en fer. Elle a suggéré que l’allaitement était en cause. Elle a suggéré que le fait que j’étais une jeune femme était en cause. J’ai décidé de changer de médecin.
À cette époque, je souffrais de très graves crampes intestinales. Je devais appeler des amis de la famille pour qu’ils viennent m’aider à surveiller ma fille alors que je me tordais de douleur sur le plancher pendant des heures. J’avais un médecin qui m’envoyait passer des tests. L’examen qui aurait permis de diagnostiquer instantanément ma maladie n’était cependant pas encore considéré. Pour cela, j’ai dû attendre d’obtenir un rendez-vous auprès d’une spécialiste. Cette dernière voulait d’abord vérifier s’il pouvait s’agir d’un ulcère gastrique. J’ai donc dû attendre de subir une endoscopie. Entre-temps, je devais me rendre aux urgences toutes les deux semaines en raison de la douleur. Encore là, une coloscopie d’urgence aurait permis de cerner le problème, mais personne au service des urgences ne semblait envisager qu’il soit possible qu’une femme de 30 ans sans antécédents médicaux souffre d’un cancer du côlon. En toute honnêteté, c’était peu probable. Il n’en demeure pas moins que j’en présentais tous les symptômes. Cette possibilité aurait dû être éliminée au départ, et non à la toute fin.
J’ai finalement subi une coloscopie en novembre 2011, plus de 10 mois après l’apparition de mes symptômes. J’ai eu beaucoup de chance. De nombreux patients souffrant d’un cancer du côlon ne présentent aucun symptôme apparent avant que la maladie n’ait progressé au stade IV. J’ai reçu un diagnostic de cancer du côlon le 21 novembre 2011 – une journée qui restera gravée dans ma mémoire jusqu’à la fin de mes jours.
Une fois le diagnostic établi, une opération a immédiatement été planifiée pour retirer mon côlon ascendant. Encore là, j’ai eu de la chance : la tumeur se trouvait du côté droit, ce qui signifiait que je n’aurais probablement pas besoin d’une poche pour colostomie. Une chose, par contre, était moins reluisante : la tumeur s’était étendue sur la paroi de mon côlon, vers mon foie. Personne ne savait à quel point elle s’était étendue; il faudrait deux semaines de plus avant qu’on établisse officiellement son stade (qui s’avérerait être le stade IIIB). Fort heureusement, grâce à des amis et à un peu d’aide du destin, j’ai pu rencontrer la Dre Elena Vikis, une jeune, brillante et fort talentueuse chirurgienne colorectale. Comme elle était en mesure de pratiquer la chirurgie par laparoscopie et d’ainsi écourter ma convalescence, elle n’a pas hésité à se saisir de mon cas. Une décision inestimable pour moi, qui avais à l’époque un enfant de 18 mois.
Après une opération qui s’est merveilleusement bien déroulée, j’ai passé deux mois en convalescence, puis je me suis préparée pour ma chimiothérapie. Ma famille s’était déplacée de l’Alberta pour venir prendre soin de mes proches et de moi-même durant ces temps difficiles. J’ai entrepris ma chimiothérapie la même semaine où j’ai commencé le tournage de mon deuxième film. Fort heureusement, je ne réalisais pas celui-là. Je le produisais et j’y jouais, ce qui était déjà suffisamment difficile. Les six mois suivants sont un peu flous pour moi, avec bien des hauts et des bas (dans les deux derniers mois, surtout des bas). J’ai terminé ma chimiothérapie le 11 juillet 2012 – un autre jour dont je me souviendrai toujours – et on m’a annoncé que j’étais en rémission le 30 août 2012. C’est cette journée que j’ai choisi de célébrer, puisque le cancer était finalement derrière moi… du moins, c’est ce que je croyais.
Or, il s’avère que la première année qui suit un traitement anticancéreux est très difficile. Je recevais moins de soutien, à un moment où j’essayais de déterminer comment vivre avec mon nouveau corps et établir une nouvelle normalité. Environ un an après la fin de mon traitement, j’ai été frappée par un tsunami de problèmes émotionnels et mentaux. J’avais refoulé le traumatisme vécu pendant les deux années où on m’avait auscultée et examinée, pendant les six mois où des produits chimiques infects coulaient dans mes veines et pendant les mois où le système médical m’avait amenée à douter de moi-même en raison de préjugés liés à mon âge et à mon sexe. Pendant tout ce temps, j’étais demeurée d’humeur joyeuse, un sourire sur mon visage – parce que, bien évidemment, il fallait que « je reste positive ».
Toute cette tempête émotionnelle m’a menée vers l’organisme Young Adult Cancer Canada (YACC), un groupe qui m’a permis de rencontrer d’autres personnes de mon âge ayant vécu une expérience semblable. Avant de faire leur connaissance, je n’avais pas réalisé à quel point j’étais isolée. Mon cœur a enfin pu entamer son processus de guérison. Près de huit ans après la fin de mon traitement, il ne se passe pratiquement pas une journée sans que le sujet du cancer ne soit abordé. Oui, je demeure amère face à ma situation, lorsque je songe à la mesure dans laquelle mon diagnostic aurait pu être plus rapide si les médecins et les spécialistes avaient porté attention à mes symptômes plutôt qu’aux statistiques. Oui, je souffre toujours d’un trouble de stress post-traumatique. J’ai dû composer avec ces symptômes et apprendre à fonctionner en dépit de ces derniers. Oui, j’apprends encore à m’adapter à ce que mon corps et mon cerveau peuvent et ne peuvent pas faire depuis les traitements. Mais je me suis redécouverte. Je me concentre sur de nouveaux buts. Je sais parfaitement qui je suis et ce dont je suis capable. Je ne m’excuse plus d’être la personne que je suis. J’ai appris à défendre mes propres intérêts dans diverses situations. Je sais ce qui est en jeu si je ne le fais pas.
Je suis ici pour défendre les droits des personnes qui vivent avec le cancer ou y ont survécu. Je ne suis plus une patiente, je suis désormais une survivante. Tous n’ont pas cette chance, alors je me porte à leur défense. C’est pour moi un honneur. Je parle ouvertement de mon expérience. Je collabore avec des organisations telles que Cancer colorectal Canada afin d’aider à sensibiliser la population afin que personne, et surtout pas les plus jeunes, n’ait à vivre ce que j’ai vécu. Je sais ce qu’implique ce combat. Je vous vois, je vous entends et je vous aime.
Cordialement,
Annette